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LA PUB, LES MÉDIAS & LE CHANGEMENT : OUI 👍 ? NON 👎 ? MAIS SURTOUT COMMENT ?

© photo crédit : Ross Findon

Le Good Forum, une conférence sur la communication, le marketing et les médias en transition écologique, qui a eu lieu mi-mars à Paris, a invité des acteurs divers pour apporter un éclairage sur les questions suivantes :

Comment les marques réinventent-elles leur communication à leurs audiences pour toujours plus de transparence et d’accompagnement des changements de comportements vers plus de sobriété ? Comment les médias ont-ils pris la mesure de leur responsabilité en réinventant leurs lignes éditoriales et leurs formats pour responsabiliser et mieux informer leurs audiences sur les défis planétaires de notre ère ?

Je ne compte pas faire un compte-rendu détaillé de la conférence mais partager les trois sujets qui m’ont particulièrement interpellée.

Highlight #1 : L’importance des transformations collectives — et non juste individuelles — pour amener un changement qui a du sens et qui est durable.

Valérie Martin, cheffe du service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’ADEME, a selon moi très bien introduit la grande problématique de notre époque à savoir que nous sommes confrontés à la nécessité de repenser notre modèle capitaliste de fond en comble.

Elle nous dit l’impératif de faire évoluer le modèle capitaliste « Je consomme donc je suis, vers une mise en avant de l’être, du sens, et de l’usage ». Que de sagesse dans cette phrase ! Tout est dit.

Comment alors transformer toutes les composantes de la société en commençant par les entreprises — de la finance à la pub et aux médias — en passant par les acteurs politiques et évidemment par nous, consommateurs, citoyens et parents des générations de demain ?

Tous ces secteurs et acteurs doivent évoluer dans le même temps pour amener du changement. La question est comment ? Par où commencer ? Quelles sont les approches les plus pertinentes et éprouvées ? Quels acteurs sont les plus à même de donner l’impulsion nécessaire pour amorcer ce mouvement de transition et tous nous embarquer ?

La première piste pour y répondre, évoquée par Valérie Martin, est que la transformation doit être collective et pas seulement individuelle ; quand elle dit collective, nous comprenons engager tous les acteurs du changement, et aussi collective au sens de changer les récits (depuis la publicité au contenu social jusqu’aux émissions de variété, aux séries télé, aux discours politiques et journalistiques, etc.) que nous partageons et qui nous imprègnent au quotidien.

Concernant le 1er point — l’engagement collectif des acteurs privés, publics et de la société civile — il est question ici de manière implicite de l’approche socio-écologique du changement [1], à savoir l’impératif de s’attaquer aux différents niveaux d’influences d’un individu pour amener les changements de comportements souhaités.

Et quand aux récits collectifs, ils font référence à la nécessité d’aller au-delà des discours logiques et rationnels vers des récits plus inspirants, plus émotionnellement intelligents afin de donner envie aux gens de faire autrement.

Et cela m’amène au 2ème highlight de la conférence :

Highlight #2 : La publicité comme production de normes sociales ?

D’après une étude de l’ADEME, nous recevrions en moyenne 1,000 à 5,000 messages publicitaires par jour ; et cela irait jusqu’à 15,000 messages par jour si l’on compte les placements produits. La question de la responsabilité de la publicité est cruciale, et celle de son impact sur nos représentations, nos croyances et nos pensées est donc incontestable.

La publicité façonne et est souvent accusée de manipuler nos esprits et donc notre société. La question sous-jacente est donc la suivante : si la publicité revêt cette puissance-là, peut-elle alors être utilisée à bon escient pour ‘manipuler positivement’ les gens ?

Parce qu’en effet la publicité, quand elle est bien pensée, s’inspire des tendances du moment pour positionner des messages de marque en cohérence avec les attentes — conscientes et inconscientes — de ses audiences.

La force de son message est ensuite démultipliée par sa présence multicanale qui va permettre la massification des tendances jusqu’à ce que ces dernières deviennent des normes sociales, c’est-à-dire selon l’UNICEF :

«(…) des règles perçues, informelles, et pour la plupart non-écrites, qui définissent les actions acceptables et appropriées au sein d’un groupe ou d’une communauté donnée, guidant ainsi le comportement humain ».

Pour changer les comportements en profondeur — depuis la réduction de consommation de viande au recyclage, en passant par la dénonciation des violences sexistes et sexuelles — il faut s’attaquer à l’évolution de nos normes sociales. Et ce n’est évidemment pas une mince affaire !

Dans cette optique, changer les connaissances est peut-être nécessaire mais très loin d’être suffisant. Il faut activer tous les leviers du changement : notre confiance en nous même à opérer le changement désiré, nos systèmes de croyances les plus profonds, notre représentation de notre identité individuelle et sociale, etc. Tous ces facteurs, qui vont bien au-delà de l’acquisition ou de l’augmentation des connaissances, influent profondément sur la possibilité ou non de changer nos comportements de manière durable et significative.

Alors la question suivante est ‘comment changer les normes sociales’ ?

L’un des moyens est le changement des récits collectifs que l’on retrouve aussi bien dans nos publicités, séries télé, émissions de variété, musiques, articles de presse, vidéos Tik Tok, instagram, bouche à oreille et j’en passe — TOUS ces récits-là.

Prenons l’exemple de la publicité, celle-ci influe consciemment et inconsciemment sur nos valeurs et nos croyances. Il y a les pubs qui enferment, comme ces exemples ci-dessous, qui bien qu’elles aient une soixantaine d’années d’écart, véhiculent toutes deux des stéréotypes sexistes indéniables :

Publicités OMO d’Unilever de 1958, et ETAM de 2021. Cette dernère a été considéree comme l’affiche la plus sexiste en 2021 par RAP Marseille.

Et il y a aussi, heureusement, les pubs qui interrogent nos croyances limitantes et tentent de les faire évoluer :

Tous les tabous sur les femmes sont malheureusement bien loin d’être levés à en juger par la censure aux Oscars il y a quelques années de la publicité Frida Mom sur la réalité du retour à la maison après l’accouchement, jugée trop explicite. En tout cas, nier l’humanité des femmes aura au moins eu l’avantage de faire parler d’un sujet dont on ne parle jamais, et de révéler sans filtre la vraie réalité du post-partum.

La pub, et les médias plus généralement, reconnaissent leur pouvoir — à travers le choix des mots, les décors, les situations, les archétypes représentés — à entretenir et indirectement légitimer des modèles désuets[2] ou au contraire à les interroger pour les faire évoluer.

Notons aussi que plus la diffusion de ces messages publicitaires est omniprésente dans nos sociétés, et plus leur aptitude à ‘normaliser’ les modèles évoqués est élevé.

Dans les messages publicitaires, et plus généralement dans les récits, il faut selon moi comprendre l’enjeu du storytelling — c’est à dire l’art de se raconter — qui va bien au delà d’une campagne d’information, aka « d’éducation ». Le pouvoir des récits est bien celui de transcender la réalité ; d’inspirer, de faire vibrer la corde sensible des gens pour rendre les nouveaux comportements non seulement nécessaires mais aussi attrayants. Et cela passe par une exploitation fine et créative du langage, de la culture populaire, de ses codes et des médias pour contextualiser et fédérer des audiences autour d’une vision partagée.

Et cela m’amène vers mon 3ème highlight de la conférence :

Highlight #3 : Les médias en quête d’exemplarité

Damien Marchi, Directeur du Développement RSE chez Vivendi a présenté le partenariat média du groupe avec Plastic Odyssey pour montrer comment il est possible de mettre en branle toute une puissance médiatique pour accompagner une grande cause, ici la lutte contre la pollution des océans par le plastique.

Tous les métiers de Vivendi vont servir les ambitions de Plastic Odyssey [3] selon des lignes éditoriales précises. Par exemple, Canal+ produira un documentaire TV et une websérie sur Les Eclaireurs et Dailymotion ; les magazines GEO, Ça M’intéresse, Capital & National Geographic réaliseront du contenu en print et digital ; des messages de prévention seront relayés dans les communautés de Gameloft ; des initiatives seront lancées pour discuter du sujet, sensibiliser les populations et les compagnies à la transformation du plastique etc.

Ce qui est intéressant selon moi est que sans le nommer, Vivendi suit une approche systémique du changement, faisant appel à une pluralité de récits et de médias pour influencer les différents déterminants du changement — de notre connaissance sur la pollution des océans par le plastique, à notre confiance en nous, nos prédispositions et nos aptitudes à modifier ou non nos comportements.

Un case study à suivre de près sur l’utilisation astucieuse du storytelling et des médias pour activer les différents freins et leviers du changement de comportement.

Il restera à aborder la question de l’impact — quels résultats tangibles et mesurables ces campagnes et médias auront-elles généré ? Comment définir, suivre et mesurer les changements de comportements souhaités ? Quels liens de causalité pourront-ils établir entre leurs activités médias et leurs résultats d’impact ?

En conclusion, voici les cinq points que je retiendrai :

1. 🗣️ Le rôle de la pub & des médias dans la production de normes sociales — dites positives ou négatives — est incontestable. La publicité n’est pas mauvaise en soi, elle n’est qu’un outil pour véhiculer des messages. C’est l’intention qu’on lui assigne qui fait d’elle une ‘force for good’ ou pas.

2. 🤓 Changer les normes pour faire changer les comportements — un travail plus subtil et plus effectif que de simplement s’atteler à augmenter ou à modifier les connaissances des individus.

3. 🔥 A l’opposé des discours strictement éducationnels, un storytelling inspirant, émotionnel, et culturellement pertinent est essentiel pour mettre en avant, comme le dit Valérie Martin, l’être, le sens et l’usage, et nous donner ainsi envie d’adopter de nouveaux comportements. On y ajoutera la force de la diffusion des messages pour contribuer à normaliser les nouveaux codes et les comportements prônés.

4. ⏩ ⏪ A la question de ‘par où commencer et avec qui ?’, on notera que les consommateurs et les médias sont des vases communicants. L’évolution des mentalités et comportements des consommateurs est nécessaire pour faire évoluer les récits des médias. Et l’évolution des récits des médias est essentielle pour faire évoluer les consommateurs.

5. 🤲🏻 La transformation sera collective ou ne sera pas, comme prônée par la théorie du modèle socio-écologique.

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NOTES :

[1] Le comportement d’une personne est influencé par différents niveaux d’influences : individuel, interpersonnel, communautaire et structurel.

[2] Étude IPSOS.

[3] Alors que 20 tonnes de plastique se déversent dans les océans chaque minute, le navire de Plastic Odyssey parcourt pendant trois ans les côtes de la Méditerranée et de l’océan Atlantique afin de faire éclore des initiatives locales de traitement de déchets, de développer l’économie du recyclage pour créer de l’emploi, et de sensibiliser localement les citoyens.

[4] Modèle COM-B de S. Michie, M. M van Stralen & R. West (2011).

[5] La théorie de la diffusion de l’innovation d’E. Rogers (1962).

Lorya RoblinComment